Pierre Francoual, docteur en droit, chargé de cours à l’université Toulouse 1 Capitole, auteur d’une thèse sur « L’entreprise sociale », a publié une chronique sur la portée des mesures proposées par le rapport de Nicole Notat et de Jean-Dominique Senard et suggère d’étendre les discussions à la fonction et au contenu de la liberté d’entreprendre.
le rapport remis par Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard constitue la première étape vers une évolution de la définition de l’entreprise en droit français ; il fait état de 2 raisons pour que ce sujet puisse aujourd’hui de trouver un aboutissement. D’une part, le mouvement de responsabilité sociale des entreprises aurait atteint son stade de maturité, rendant indispensable sa généralisation au plan juridique. D’autre part, l’écart irait grandissant entre les engagements des entreprises et les attentes sociétales à leur égard et l’état de notre droit n’a pas su ralentir le processus de financiarisation.
Il est permis d’aller plus loin en soulignant combien l’actuel gouvernement a investi dans l’objet « entreprise », en façonnant son droit pour en faire le centre névralgique du droit du travail : ainsi les marges de manœuvre confiées au niveau de l’entreprise en termes de négociation collective et la mise en avant de « l’intérêt de l’entreprise » dans les accords de « performance collective » … Le projet de loi PACTE en préparation devrait aussi placer les sujets de l’intéressement et de la participation dans cette même perspective.
La révision du code civil est dès lors compréhensible en raison du décalage avec les enjeux sociétaux contemporains. La charge symbolique d’une rénovation de l’article 1833 n’est donc pas à sous-estimer. Cependant, les termes proposés par les rapporteurs suggérant d’ajouter que « la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité« , ménagent l’interlocuteur patronal en prenant soin de ne pas ouvrir aux parties prenantes la possibilité d’engager des contentieux contre les dirigeants et les stratégies qu’ils mettent en œuvre, sur le fondement de leurs conséquences sociétales.
L’aspect le plus notable de ce projet de renouvellement de l’article 1833 tient peut-être dans l’irruption d’un « intérêt propre » de la société, apparaissant en contrepoint des théories financières pour signaler que la naissance de la personne morale emporte l’existence d’un être juridique qui n’est pas réductible aux intérêts de ceux l’ont initié. Cette distinction entre un intérêt « social » et l’intérêt des associés réactive le débat du droit des sociétés.
Les autres propositions formulées vont dans le même sens, insistant sur des instances de gouvernance plus conscientes des enjeux extra-financiers : ainsi devrait apparaitre l’obligation de formuler la « raison d’être » de l’entreprise, avec une place plus largement ouverte aux salariés. Sont également mises en avant les entreprises à mission, aux engagements plus contraignants, comme modèles de ce nouveau capitalisme responsabilisé. Il est difficile de présager des effets concrets des évolutions proposées sachant que la modification du droit sur un mode mineur ne produira pas à lui seul le changement culturel qui permettrait l’avènement d’une gouvernance des entreprises plus démocratique.
Le rapport Notat-Senard pose la question des modes de régulation désormais utilisés par le législateur pour faire évoluer les entreprises. Si l’approche choisie semble à première vue volontariste, elle s’inscrit dans la logique d’entreprises productrices de leurs propres normes à travers des accords collectifs ou des engagements RSE applicables dans le monde. Le législateur a renoncé à réglementer par la hard law en optant pour des formes de co-régulation.
Une telle méthode laisse de côté une lecture plus large de l’ordre juridique. Si les entreprises sont porteuses d’une responsabilité sociale, sociétale et environnementale, cet impératif ne devrait-il pas irriguer l’ensemble de l’environnement juridique plutôt que de n’apparaître que dans leur définition ? Aborder le problème sous cet angle supposait d’envisager frontalement la question des fonctions de la liberté d’entreprendre. Une réflexion sur le sujet est pourtant nécessaire. Elle permettrait de saisir les pouvoirs entrepreneuriaux en tous points de l’ordre juridique pour leur conférer, à côté de leur vocation économique naturelle, d’autres dimensions : notion de développement durable ou principe de participation réaffirmé, par exemple. Une telle approche conduirait à envisager toutes les dimensions de ce que sont les entreprises. Ce serait aussi l’occasion d’aborder la problématique des réseaux, qu’ils prennent la forme de groupe liés par des liens capitalistiques, ou de chaînes de valeurs fondées sur la maîtrise de l’information et la dépendance économique ou organisationnelle. Or, le rapport et vraisemblablement le projet de loi PACTE ne s’en sont pas saisis.
Pour en savoir plus : lire la chronique publiée par Actuel RH
http://www.actuel-rh.fr/content/rapport-notat-senard-ce-que-repenser-lentreprise-veut-dire
Point de vue sur le Rapport sur le Rapport Senard/Notat : ce que repenser l’entreprise veut dire…
Pierre Francoual, docteur en droit, chargé de cours à l’université Toulouse 1 Capitole, auteur d’une thèse sur « L’entreprise sociale », a publié une chronique sur la portée des mesures proposées par le rapport de Nicole Notat et de Jean-Dominique Senard et suggère d’étendre les discussions à la fonction et au contenu de la liberté d’entreprendre.
le rapport remis par Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard constitue la première étape vers une évolution de la définition de l’entreprise en droit français ; il fait état de 2 raisons pour que ce sujet puisse aujourd’hui de trouver un aboutissement. D’une part, le mouvement de responsabilité sociale des entreprises aurait atteint son stade de maturité, rendant indispensable sa généralisation au plan juridique. D’autre part, l’écart irait grandissant entre les engagements des entreprises et les attentes sociétales à leur égard et l’état de notre droit n’a pas su ralentir le processus de financiarisation.
Il est permis d’aller plus loin en soulignant combien l’actuel gouvernement a investi dans l’objet « entreprise », en façonnant son droit pour en faire le centre névralgique du droit du travail : ainsi les marges de manœuvre confiées au niveau de l’entreprise en termes de négociation collective et la mise en avant de « l’intérêt de l’entreprise » dans les accords de « performance collective » … Le projet de loi PACTE en préparation devrait aussi placer les sujets de l’intéressement et de la participation dans cette même perspective.
La révision du code civil est dès lors compréhensible en raison du décalage avec les enjeux sociétaux contemporains. La charge symbolique d’une rénovation de l’article 1833 n’est donc pas à sous-estimer. Cependant, les termes proposés par les rapporteurs suggérant d’ajouter que « la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité« , ménagent l’interlocuteur patronal en prenant soin de ne pas ouvrir aux parties prenantes la possibilité d’engager des contentieux contre les dirigeants et les stratégies qu’ils mettent en œuvre, sur le fondement de leurs conséquences sociétales.
L’aspect le plus notable de ce projet de renouvellement de l’article 1833 tient peut-être dans l’irruption d’un « intérêt propre » de la société, apparaissant en contrepoint des théories financières pour signaler que la naissance de la personne morale emporte l’existence d’un être juridique qui n’est pas réductible aux intérêts de ceux l’ont initié. Cette distinction entre un intérêt « social » et l’intérêt des associés réactive le débat du droit des sociétés.
Les autres propositions formulées vont dans le même sens, insistant sur des instances de gouvernance plus conscientes des enjeux extra-financiers : ainsi devrait apparaitre l’obligation de formuler la « raison d’être » de l’entreprise, avec une place plus largement ouverte aux salariés. Sont également mises en avant les entreprises à mission, aux engagements plus contraignants, comme modèles de ce nouveau capitalisme responsabilisé. Il est difficile de présager des effets concrets des évolutions proposées sachant que la modification du droit sur un mode mineur ne produira pas à lui seul le changement culturel qui permettrait l’avènement d’une gouvernance des entreprises plus démocratique.
Le rapport Notat-Senard pose la question des modes de régulation désormais utilisés par le législateur pour faire évoluer les entreprises. Si l’approche choisie semble à première vue volontariste, elle s’inscrit dans la logique d’entreprises productrices de leurs propres normes à travers des accords collectifs ou des engagements RSE applicables dans le monde. Le législateur a renoncé à réglementer par la hard law en optant pour des formes de co-régulation.
Une telle méthode laisse de côté une lecture plus large de l’ordre juridique. Si les entreprises sont porteuses d’une responsabilité sociale, sociétale et environnementale, cet impératif ne devrait-il pas irriguer l’ensemble de l’environnement juridique plutôt que de n’apparaître que dans leur définition ? Aborder le problème sous cet angle supposait d’envisager frontalement la question des fonctions de la liberté d’entreprendre. Une réflexion sur le sujet est pourtant nécessaire. Elle permettrait de saisir les pouvoirs entrepreneuriaux en tous points de l’ordre juridique pour leur conférer, à côté de leur vocation économique naturelle, d’autres dimensions : notion de développement durable ou principe de participation réaffirmé, par exemple. Une telle approche conduirait à envisager toutes les dimensions de ce que sont les entreprises. Ce serait aussi l’occasion d’aborder la problématique des réseaux, qu’ils prennent la forme de groupe liés par des liens capitalistiques, ou de chaînes de valeurs fondées sur la maîtrise de l’information et la dépendance économique ou organisationnelle. Or, le rapport et vraisemblablement le projet de loi PACTE ne s’en sont pas saisis.
Pour en savoir plus : lire la chronique publiée par Actuel RH
http://www.actuel-rh.fr/content/rapport-notat-senard-ce-que-repenser-lentreprise-veut-dire
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