
Histoire d’une réorganisation : tous les deux ans, ,l’organisation du travail des facteurs est remise en cause. Les raisons invoquées sont multiples : nombre de lettres distribuées diminue, transformation des quartiers, adaptation des moyens à la charge, réduction du nombre de tournées et de l’effectif de facteurs.
L’auteur se fait embaucher comme facteur dans un centre de distribution : le livre est le récit de cette immersion proposant un témoignage sur le vécu des facteurs et une réflexion documentée sur les conceptions du travail et de son organisation.
Chaque métier produit son idiome. Exemple « Aviser » ; pour le facteur, il s’agit de glisser un avis de passage dans la boîte à lettres d’un destinataire absent. Cela évite de sonner, monter jusqu’à l’appartement ou attendre afin de remettre la lettre recommandée contre signature. Le client se présentera au bureau d’instance pour expliquer qu’il était présent mais n’obtiendra pas un retour… Les facteurs évitent de le faire autant que possible, mais comment faire autrement quand le collègue affecté à cette tournée a laissé des courriers non distribués faute de temps ou parce qu’il n’a pas trouvé le nom du destinataire au milieu d’une batterie de boîtes à lettres en mauvais état.
Une nouvelle réorganisation touche à un pilier du métier : le travail de distribution et le travail de tri individuel au cours duquel chaque facteur prépare sa tournée du jour face à son casier seront effectués par des personnes différentes. Finies les façons de faire pour classer selon une logique personnelle l’ordre des liasses dans les sacoches…
Désormais certains distribueront les lettres ordinaires, d’autres les recommandés ou les lettres suivies, d’autres les petits paquets et colis.
Selon l’affectation, les horaires de travail varient : pour beaucoup l’habituelle journée continue commencée à 6 h 30 est remplacée par une journée classique, commencée à 8 h 30 avec pause à midi de 45 min. L’objectif de la direction est de mettre fin au « fini-parti », pratique traditionnelle permettant de partir plus tôt les jours où il y a moins d’activité, mais qui implique symétriquement de quitter plus tard lorsqu’il y en a davantage. Pour comprendre les raisons de cette remise en cause, il faut rappeler le changement de statut des facteurs : depuis 20 ans La Poste ne recrute plus que des salariés de droit privé et depuis 2010, ils sont majoritaires et bientôt il n’y aura plus aucun fonctionnaire. Ce nouveau statut accorde une place primordiale à la question du temps effectif de travail alors que celui de fonctionnaire admet qu’il peut varier en fonction du service à accomplir. Ce qui crée des réclamations de paiement d’heures supplémentaires et des inspecteurs du travail ont réclamé des pointages…
L’auteur tente de comprendre les motivations et la logique de la réorganisation tant sur le plan épistémologique que managérial : quels moyens pour connaître son activité et régler l’activité des facteurs ? L’écart constaté entre leur travail réel et la description qui préside à son organisation est abyssal : l’ organisateur fait des diagnostics et pèse la charge de travail via un outil à l’échelle nationale supposé représenter le calcul réel du temps réel qu’il faut au facteur pour aller distribuer. Le logiciel attribue un temps moyen à chaque catégorie d’actes d’une tournée et effectue les multiplications et les additions…
La suppression de plusieurs tournées et l’attribution de nouvelles rues à celles qui subsistent sont présentées comme une obligation : les facteurs devront s’adapter…. La tendance irréversible à la baisse du trafic est en trompe-l’œil : si celui des lettres ordinaires diminue, le nombre de paquets, de lettres recommandées ou suivies augmente.
En conclusion, l’auteur insiste sur :
-la complexité des enjeux multiples auxquels est confrontée La Poste : concurrence sur les segments lucratifs alors qu’elle est contrainte d’entretenir les autres au nom du service public universel.
-le fait que les réorganisations ne sont pas discutées en interne pour affronter ces évolutions aussi rapides que radicales ; La Poste, comme toutes les entreprises, a tout à perdre en méprisant les contre-pouvoirs et la représentation du personnel….
Pour en savoir plus : Nicolas Jounin Le Caché de la Poste. Enquête sur l’organisation du travail des facteurs. La Découverte. 2021