Bilan ordonnances Travail de 2017 : Journée d’étude IRES ET ISST

Au-delà des travaux du comité d’évaluation des ordonnances pilotée par France Stratégie dont le rapport a été rendu public fin 2021, la journée d’étude organisée par l’IRES et l’ISST le 23 09 2022, rassemblant chercheurs, syndicalistes et praticiens, visait à rendre compte et mettre en débat les résultats de recherches menées sur les effets des ordonnances sur les négociations de branche et d’entreprise ainsi que sur l’activité des instances de représentation du personnel.

Résistance de la négociation de branche, mais fragilisation de la fonction de régulation de la concurrence

Le nouveau contexte institutionnel dessiné par les ordonnances a-t-il conduit à de nouvelles formes d’articulation entre négociation de branche et d’entreprise se traduisant par un basculement de la branche vers l’entreprise ?

L’exploitation des données de l’enquête REPONSE met en évidence une diversité des modes d’articulation branche/entreprise dans la définition des normes d’emploi et de travail se concrétisant dans 4 profils-types de branche :

– normalisation mixte combinant référence à la CCB, à des accords d’entreprise, mais également des accords de groupe ou des conventions régionales : ex  Bâtiment ;

– normalisation forte au niveau de la branche associant une importante référence à la branche et une importance des recommandations de branche en matière salariale : ex Propreté et services associés ;

– normalisation forte au niveau de l’entreprise (importance des accords d’entreprise et référence complémentaire à la CCB) : ex commerce.;

– faible normalisation collective, dans lesquelles la CCB est de faible portée et les accords d’entreprise peu nombreux : ex bureaux d’études où les relations collectives de travail sont peu installées.

L’enquête qualitative a permis de montrer que si la fonction de régulation de la concurrence des branches est affaiblie par les ordonnances notamment en ce qui concerne la régulation salariale, celle-ci parvient à se maintenir soit en s’appuyant sur l’arsenal juridique (Commerce) soit sur la légitimité assise sur l’organisation spécifique de la sous-traitance dans le secteur et sur le rôle de lobbying auprès des pouvoirs publics pour préserver cette spécificité (Propreté). Ainsi sont constitués des espaces de ressources s’appuyant par exemple sur les observatoires de compétences, pour consolider leur légitimité de régulation.

Les possibilités de dérogations offertes par les ordonnances paraissent avoir été peu utilisées : il apparaît que les directions d’entreprise ne se précipitent pas, car elles prennent en compte les risques de détérioration du climat social consécutif à ces dérogations et la nécessité de s’engager dans une négociation globale de long terme incluant certaines formes de donnant-donnant.

Une forte activité de négociation de branche ne se traduit pas automatiquement par des garanties collectives élevées pour les salariés : ex pour la branche propreté. Dans cette activité économique marquée par la sous-traitance, une annexe de la CCB, source de nombreux contournements, garantit le transfert des salariés, c’est-à-dire le maintien dans l’emploi avec leurs avantages acquis en cas de perte d’un marché ; cette situation a pour principale conséquence de faire de la branche la principale sinon l’unique source des garanties collectives.  Elle entraine également une quasi-disparition du rôle de l’employeur dans la mesure où d’une part la fonction RH tend à être déléguée à la branche et d’autre part pour les salariés, la succession d’employeurs sur un même chantier conduit à un faible attachement à ces entreprises. Une telle configuration est marquée par l’« absence omniprésente » du donneur d’ordre alors qu’un certain nombre de devoirs s’imposent à lui. Ceci conduit à réinterroger le rôle des donneurs d’ordre et la place que pourraient faire les organisations syndicales représentatives dans ces entreprises et à questionner le processus même de l’externalisation.

Une multiplication des lieux de négociation : L’enquête réalisée en France par deux chercheurs de l’IRES auprès de 4 grands groupes et sur 8 pays européen portant sur les effets du développement de la négociation d’entreprise sur les stratégies des acteurs, met en évidence l’intérêt persistant porté à la négociation de branche en tant que référence à la négociation d’entreprise, notamment en ce qui concerne les salaires de base. Toutefois, cette persistance normative de l’accord de branche s’accompagne de fortes inégalités entre entreprises.

On observe dans ces grands groupes une volonté d’unifier les statuts pour favoriser la mobilité interne avec une tendance à la centralisation de la négociation portant le risque de faire émerger, côté syndical, un syndicalisme d’entreprise.  Ce sont les effets de la reconnaissance du groupe comme unité de négociation, promue par la loi de 2016, confirmée et élargie par les ordonnances de 2017, sur la négociation d’entreprise aux autres niveaux (entreprise, établissement) qu’explorent les travaux menés par une équipe coordonnée par deux chercheurs du Centre Maurice Halbwachs du CNRS, dans le cadre des post-enquêtes à l’enquête REPONSE. L’enquête qualitative avait pour objet de saisir la dimension du groupe ; elle permet de montrer, à côté de l’accord de groupe qui vise à une normalisation des conditions de travail en s’imposant sur les accords d’entreprise et d’établissement, l’existence de stratégies de négociations semi-autonome, le plus souvent dans les filiales,

Une rationalisation difficile à atteindre et une centralisation renforcée du dialogue social dans l’entreprise : . Les travaux collectifs menés dans le cadre du programme d’évaluation des ordonnances lancé par France Stratégie et réalisés avec le concours de cabinets de consultants spécialisés de l’IRES et de l’Université Paris Est Créteil visaient à saisir le fonctionnement concret des nouvelles instances dans une variété d’établissements et à analyser le contenu de cette rationalisation dans de très grandes entreprises où le dialogue social était bien installé.

Les résultats de la première enquête permettent de dresser un bilan contrasté de l’effet de la mise en œuvre des ordonnances. La centralisation renforcée notamment par la mise en place de CSE aux prérogatives multipliées sur des périmètres élargis se traduit également dans une tendance à la remontée des thèmes traditionnellement traités par les délégués du personnel au niveau des CSE du fait de la disparition de ces derniers, ce qui ne manque pas d’interroger sur les difficultés à maintenir une proximité des instances vis-à-vis des salariés d’autant que la figure du représentant de proximité peine à émerger faute de légitimité. Ces mutations interrogent sur les difficultés pour les CSE à gérer l’ensemble des missions..

Pour les directions il ne s’agit pas de faire disparaître la proximité pour traiter les réclamations individuelles et collectives, mais plutôt d’éviter les problèmes d’engorgement du CSE en faisant traiter celles-ci localement par les managers de proximité en lien avec les représentants locaux. N’apparaissent pas nettement ce qui est le fait des commissions du CSE et ce qui ressort du CSE plénier, celui-ci devenant une instance formelle institutionnelle rendant des avis.

L’objectif des réformes était également la simplification, se concrétisant par la limitation du nombre de réunions, mais celle -ci apparaît à construire au regard d’une « simplification chronophage» avec des ordres du jour plus lourds, la discipline des débats devant être construite préalablement via des réunions informelles.

La perte d’un grand nombre d’élus (30 à 40 %) s’est traduite, pour les organisations syndicales, par une perte de moyens et de savoir-faire des élus qui étaient dans des instances spécialisées. L’intensification de la charge de travail de ceux qui restent conduit certains au « burn out » et/ou à la démission. L’affaiblissement du lien de proximité s’accompagne d’une perte de visibilité des représentants du personnel  Les difficultés de déploiement du dialogue social dans le système français de relations professionnelles demeurent : moins de 20 % des CSE ont été mis en place par accord et une forte minorité d’accords dans des entreprises de plus de 300 salariés (25 %) ne prévoit pas la mise en place de la CSSCT alors que celles-ci y sont obligatoires.

A retenir : la mise en œuvre des ordonnances a amplifié certaines tendances et a pu contribuer à ébranler les fonctions traditionnelles de la négociation de branche. Une réflexion approfondie sur les moyens de renforcer les capacités des acteurs du dialogue social ainsi que sur les objectifs dévolus aux différents niveaux de négociation dans l’architecture du système français de relations professionnelles paraît à l’ordre du jour.

Pour en savoir plus : https://www.metiseurope.eu/2022/11/18/quel-bilan-peut-on-tirer-des-ordonnances-travail%e2%80%89-au-dela-des-travaux-du-comite-devaluation-des-ordonnances-pilotee-par-france-strategie-dont-le-rapport-a-ete-rendu-public-fin-2021/

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