Archives quotidiennes : 22 mars 2023

Comprendre l’Affaire France Télécom

Au milieu des années 2000, France Télécom est touchée par une profonde crise sociale. Privatisation, ouverture à la concurrence, transformation du marché de la téléphonie, révolution technologique et dette élevée fragilisent l’institution. Ses dirigeants engagent une restructuration, avec un objectif de 22 000 départs, 10 000 mobilités et 6 000 recrutements via un plan triennal Next et son volet social ACT.

Les méthodes utilisées sont coercitives. Devant les cadres supérieurs et dirigeants de l’entreprise, le PDG exige des départs d’une façon ou d’une autre… Cette restructuration à marche forcée provoque une vague de suicides: en 2 ans, plus d’une trentaine d’agents de France Télécom se donnent la mort ou font des tentatives de suicide.

Sur plainte du syndicat SUD PTT, en 2019, un procès en première instance se tient Tal Correctionnel de Paris: pour la première fois, le jugement reconnaît la notion de harcèlement moral institutionnel.

Le 30 septembre 2022, la cour d’appel de Paris confirme la décision avec un allègement des peines :l’ancien et son ex-numéro deux sont condamnés à un an d’emprisonnement avec sursis. 2 anciennes cadres de l’entreprise sont reconnues coupables de complicité.

A propos du harcèlement moral : Le harcèlement moral vise des agissements, propos et comportements répétés « qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » : article L1152-1. Reconnu comme un délit par la loi du 4 août 2014, il est condamné par l’article 222-33-2 du Code pénal.

Au-delà des drames individuels et collectifs, l’enjeu du procès France Télécom est d’établir si des faits ne relevant pas de relations individuelles avec des salariés peuvent constituer des faits de harcèlement moral. En condamnant les dirigeants de France Télécom en première et deuxième instances, la justice a reconnu la responsabilité des dirigeants pour harcèlement moral institutionnel résultant de la politique d’entreprise conçue et mise en œuvre par les dirigeants.

Ainsi , la cour d’appel de Paris relève les faits de harcèlement moral institutionnel : « Les décisions d’organisation prises dans le cadre professionnel peuvent, dans un contexte particulier, être source d’insécurité permanente pour tout le personnel et devenir alors harcelantes pour certains salariés. […] Le harcèlement institutionnel a […] pour spécificité d’être en cascade, avec un effet de ruissellement, indépendamment de l’absence de lien hiérarchique entre le prévenu et la victime. »

Les faits constitutifs de harcèlement moral institutionnel dans le dossier France Télécom: le harcèlement moral institutionnel est constitué dès lors que les dirigeants ont adopté une « méthode dirigiste et autoritaire qui a excédé très largement le pouvoir de direction et de contrôle du chef d’entreprise ». En outre, les anciens dirigeants ont poursuivi« l’accélération impérative de la déflation des effectifs » sans tenir compte des impacts sur les salariés, et ce en dépit des alertes des syndicats, des instances représentatives du personnel et des remontées de la presse.

Pendant les procès, ont été pointés du doigt des réorganisations internes successives, un rythme de transformation non supportable, des quotas par service de « sorties pilotées », des pratiques répétées harcelantes… avec pour résultats : stress, pression et l’insécurité pour les salariés, dégradation de leurs conditions de travail, atteinte à leurs droits et des altérations physiques et mentales ayant conduit à des suicides et des dépressions. La répétition des agissements et leurs conséquences sont reconnues comme relevant de la définition du harcèlement moral, mais porté à un niveau supérieur, celui de l’institution.

A retenir : L’Affaire France Télécom a provoqué une prise de conscience de la part des pouvoirs publics et des entreprises. Elle fait évoluer les pratiques en matière de management et de ressources humaines, avec une meilleure prise en compte des risques psychosociaux et du harcèlement moral.

En 2008 et 2010, deux accords interprofessionnels sont signés, l’un sur le stress au travail, l’autre sur le harcèlement et la violence au travail. En 2014, le harcèlement moral est inscrit au Code pénal.

Plus récemment, la loi du 2 août 2021 renforce la prévention de la Santé au travail, modifiant les obligations des employeurs en matière d’évaluations et de prévention des risques professionnels, dont les risques psychosociaux.

La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel est un pas de plus pour permettre aux entreprises de prendre en considération la protection de la sécurité des salariés au travail.

Pour en savoir plus : https://www.editions-legislatives.fr/actualite/proces-france-telecom-le-%C2%AB-harcelement-institutionnel-%C2%BB-confirme-par-la-cour-dappel/

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