La loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire a introduit un nouvel article dans le code de la santé publique pour une appréciation in concreto d’une éventuelle responsabilité pénale du dirigeant en cas de contamination au Covid-19 : Commentaires du Cabinet August Debousy
Selon la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, l’article 121-3 du code pénal relatif aux infractions d’homicides ou de blessures involontaires est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur .
*Un texte de compromis issu de la commission mixte paritaire. Il vise à définir les diligences normales attendues d’un chef d’entreprise ou d’un élu pour en faire une appréciation in concreto, dans l’éventualité de poursuites pour homicides ou blessures involontaires. Le texte précise que « les compétences, le pouvoir et les moyens » du dirigeant doivent être analysés au regard de « la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire »: il s’agit de contextualiser l’appréciation des moyens, des compétences et des pouvoirs du chef d’entreprise à l’époque des faits, ce qui n’est pas une nouveauté.
*Point d’attention demandé au juge qui est invité à être vigilant avec la nécessité d’apprécier les diligences normales dans le contexte de la crise et d’en tenir compte.
*Appréciation des diligences normales à assurer par le chef d’entreprise ? Elles doivent être appréciées en examinant ce qui a été mis en place, au niveau de l’ entreprise pour rendre possible la reprise d’activité des salariés en respectant les règles applicables : textes réglementaires, guides, protocoles préconisant distanciation sociale, respect des gestes barrières, désinfection…et autres bonnes pratiques. Ceci constitue des indicateurs des diligences normales attendues d’un dirigeant qui ne sont pas une obligation légale impérative.
*Un texte limité dans le temps : Le texte s’applique à la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire. Quid d’une application au-delà ? Il est imaginable que a situation de crise perdure au-delà de l’état d’urgence sanitaire: il faudra alors apprécier la période pendant laquelle le dirigeant a pris des mesures spécifiques pour prévenir le risque de contamination.
*Fondement de la responsabilité pénale invoquée: Mise en danger de la vie d’autrui, exposition à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente. Le risque de contamination peut aussi être assimilé à une blessure, ce qui n’est pas évident. En toute hypothèse, il faut démontrer que l’employeur a violé de manière manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement; or, le protocole de dé-confinement ne crée pas de telles obligations. Pour établir l’infraction, un lien direct entre la violation délibérée et l’exposition au risque de mort ou de blessures est nécessaire, preuve difficile à rapporter. Il en va de même en cas de poursuites pour homicides ou blessures involontaires : le lien de causalité entre la faute reprochée au dirigeant et la contamination mortelle ou invalidante doit être certain: il devra notamment être établi que la contamination s’est produite sur le lieu de travail.
*La condamnation d’un dirigeant pour mise en danger de la vie d’autrui pour exposition à un risque de contamination au Covid-19 sera difficile: La circulaire du 25 mars 2020 de la direction des affaires criminelles et des grâces a précisé, à propos des manquements à l’obligation de confinement, que « l’exigence tenant à la caractérisation d’un risque immédiat de mort ou de blessures graves ne paraît pas pouvoir être remplie au regard des données épidémiologiques connues ». En l’absence de circonstances particulières, la qualification de mise en danger d’autrui doit être écartée au profit des incriminations nouvelles créées en cas de non-respect répété du confinement.
*Recommandations aux chefs d’entreprise: Retracer les mesures mises en place dans l’entreprise, leur contexte, les réactualiser régulièrement et conserver les traces des discussions ayant conduit à la prise de décision. Les informations devront être réactualisées en fonction des données scientifiques connues.
Au moment de la reprise d’activité, l esprit de la loi Fauchon doit s’appliquer; il est très important que ces diligences soient appréciées compte tenu des moyens disponibles et des connaissances scientifiques connues à l’époque pour éviter une appréciation rétrospective des faits.
Pour en savoir plus : https://www.actuel-hse.fr/content/interview-responsabilite-penale-du-dirigeant-lesprit-de-la-loi-fauchon-doit-sappliquer