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Cour appel de Douai 21 10 22 ; barème Macron écarté avec application d’un contrôle « in concreto » en raison de circonstances exceptionnelles.

Contexte : un salarié agent de propreté a été licencié après avoir refusé plusieurs propositions de mutation au retour d’un arrêt maladie. Le licenciement a été déclaré sans cause réelle et sérieuse, les juges ayant considéré que les propositions de mutation étaient inadaptées.

Sur la base de l’ancienneté du salarié, qui était de 21 ans, et de son salaire, égal à 1 497,53 € mensuel, le conseil de prud’hommes a fixé le montant des dommages et intérêts à 23 960,48 €, ce qui correspond aux 16 mois de salaires prévus par le barème légal.

L’employeur a fait appel de ce jugement afin que le licenciement soit jugé justifié. Le salarié demandait que soit écarté le barème, qu’il estimait insuffisant pour réparer son préjudice, et réclamait des dommages et intérêts à hauteur de 32 000 € nets, correspondant à 21 mois de salaire ; il invoquait son âge de 55 ans, sa situation de père de 8 enfants dont 3 mineurs, des charges d’emprunts à rembourser et une situation économique difficile au regard au marché de l’emploi, ses problèmes de santé et le peu de chance de retrouver un emploi.

Décision de la cour d’appel de Douai :

* elle relève que le Bureau de l’Organisation internationale du travail et le Comité européen des droits sociaux ont émis des réserves sur le barème Macron : le barème pouvant comporter des risques de ne pas assurer une réparation adéquate et non-conformité à l’article 24 de la Charte sociale européenne.

*elle se fonde sur le principe d’indemnité adéquate prévu à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT, « adéquat » interprété comme « adapté à un usage déterminé » ou « qui convient aux circonstances »,

*elle considère que le barème Macron n’est pas assez dissuasif pour éviter le licenciement injustifié et ne permet pas d’assurer dans certains cas particuliers une protection suffisante des personnes injustement licenciées et donc une réparation adéquate 

*elle retient que des circonstances exceptionnelles justifient un contrôle « in concreto » en estimant qu’il doit « revenir au juge de déterminer un montant d’indemnité en dehors des limites du barème » lorsqu’il ne permet pas une réparation adéquate.

Cette position va à l’encontre de celle de la Cour de cassation qui, d’une part a considéré que le barème est conforme à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT, et d’autre part a refusé la possibilité pour le juge d’écarter, même au cas par cas, l’application du barème au regard du principe.

La cour d’appel de Douai précise en outre que « le barème impératif ne respecte pas le principe juridique de la responsabilité civile, dit indemnitaire, prévoyant la réparation intégrale du préjudice » ; il ne comporte « aucune « clause de dépassement du barème » qui répondrait aux cas d’espèces et prendrait en compte des circonstances particulières liées notamment aux charges de famille impérieuses ou aux difficultés de retrouver un emploi ».

En l’espèce, l’espèce en cause est un cas exceptionnel, où « l’indemnisation légalement prévue apparaît insuffisante eu égard aux charges de famille du salarié, et aux difficultés de retrouver un emploi après un licenciement ».

En conséquence, la Cour retient qu’il existe un « écart entre le préjudice subi et le préjudice indemnisable » en application du barème, au regard des « circonstances particulières qui justifient de prendre en compte la situation personnelle du salarié » ; ainsi elle condamne l’employeur à verser au salarié une indemnité de 30 000 euros.

Pour en savoir plus :  CA Douai 21 octobre 2022, n° RG 20/01124 . https://revuefiduciaire.grouperf.com/plussurlenet/complements/20221028_CA-Douai-bareme-macron-21-10-22.pdf

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CEDS, « Barème Macron », contraire à la Charte sociale européenne:

Pour le Comité européen des droits sociaux, le barème d’indemnités pour licenciement abusif est contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne, les plafonds prévus étant insuffisants et non dissuasifs pour l’employeur et le juge ne disposant que de peu de marge de manœuvre. Sa décision est toutefois sans effet en droit interne.

L’article L 1235-3 du Code du travail fixe un barème d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, aussi appelé « barème Macron », prévoyant des montants minimaux et maximaux exprimés en mois de salaire et variant en fonction de l’ancienneté du salarié, le minimum étant moins élevé pour les 10 premières années d’ancienneté si l’employeur occupe moins de 11 salariés et le maximum étant fixé à 20 mois de salaire pour les salariés ayant au moins 29 ans d’ancienneté.

Estimant que ce barème n’est pas conforme à l’article 24 de la Charte sociale européenne ratifiée par la France, dans la mesure, la CGT-FO et la CGT, ont saisi d’une réclamation le Comité européen des droits sociaux, organe de contrôle de l’application de la Charte.

L’article 24 de la Charte « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître : a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ; b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. »

* le Comité s’appuie sur plusieurs arguments.

– « le barème est moins élevé pour les salariés ayant peu d’ancienneté et pour ceux qui travaillent dans des entreprises de moins de 11 salariés. Pour ces derniers, les montants minimums et maximums d’indemnisation auxquels ils peuvent prétendre sont faibles et parfois quasi identiques, de sorte que la fourchette d’indemnisation n’est pas assez large ».

– « contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement – à savoir que l’objectif du système […] était d’assurer une plus grande sécurité juridique aux parties et donc une plus grande prévisibilité des coûts engendrés par une procédure judiciaire – la « prévisibilité » résultant du barème pourrait plutôt constituer une incitation pour l’employeur à licencier abusivement des salariés. En effet, les plafonds d’indemnisation ainsi définis pourraient amener les employeurs à faire une estimation réaliste de la charge financière que représenterait pour eux un licenciement injustifié sur la base d’une analyse coûts-avantages. Dans certaines situations, cela pourrait encourager les licenciements illégaux ».

– « le plafond du barème d’indemnisation ne permet pas de prévoir une indemnité plus élevée en fonction de la situation personnelle et individuelle du salarié, le juge ne pouvant ordonner une indemnisation pour licenciement injustifié que dans les limites inférieure et supérieure du barème, sauf à écarter l’application de l’article L 1235-3 du Code du travail ».

– « dans la mesure où l’indemnisation du préjudice moral causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse est déjà incluse dans l’indemnité plafonnée, la possibilité pour les salariés injustement licenciés de réclamer, en plus de l’indemnité plafonnée, des allocations chômage ou une indemnité pour les dommages liés, par exemple, à des violations de procédure en cas de licenciement économique, ne représente pas une voie de droit alternative à part entière ».

En conséquence, les plafonds prévus par le barème ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur et que le juge ne dispose que d’une marge de manœuvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés de sorte que le préjudice réel subi par le salarié pourrait ne pas être réparé.

*La décision rendue par le CEDS n’a pas d’incidence en droit interne.

Dans ses arrêts du 11 mai 2022, la Cour de cassation a retenu que les dispositions de la Charte sociale européenne n’ont pas d’effet direct entre particuliers de sorte que l’invocation de son article 24 devant le juge, dans le cadre de la contestation d’un licenciement ne peut pas conduire à écarter l’application du barème en retenant que ;

-le barème est conforme à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT, rédigé dans des termes similaires à l’article 24 de la Charte et auquel elle reconnaît un effet direct. Les articles L 1235-3 et L 1235-3-1 du Code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.

-le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est assuré par l’application d’office par le juge des dispositions prévoyant le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage versées aux salariés licenciés dans la limite de 6 mois.

-en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, il appartient seulement au juge d’apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par le « barème Macron »; les juges du fond n’ont pas le droit de l’écarter au cas par cas pour tenir compte des situations personnelles de chaque justiciable

Ainsi la Cour de cassation adopte une position inverse du CEDS.

A noter qu’en droit interne, les décisions de CEDS ne produisent aucun effet contraignant : les recommandations qui y sont formulées sont adressées au gouvernement français qui ne risque aucune sanction. La seule possibilité étant pour le gouvernement ou le législateur de modifier la loi pour tenir compte de la décision.

Pour en savoir plus CEDS 23-3-2022 n° 171/2018, CGT-FO et CGT c/ France

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