Christophe QUAREZ, Membre CFDT du Conseil Economique et Social Européen et du CESE,
A noter en liminaire une évolution de la RSE au cours des dernières années avec :
– au départ, une approche de soft law autour de nombreuses initiatives et de création d’outils en lien avec les principes posés par l’OCDE ou l’ONU ou via le dialogue social entre entreprises et organisations syndicales, le tout s’inscrivant dans la sphère de l’initiative et du volontariat ;
– le constat d’une prise de conscience globale de l’insuffisance des dispositifs retenus notamment autour du lien entre donneur d’ordre et sous-traitant et d’un arrière-plan d’une globalisation arbitrant sur le «moins-disant ». Ainsi, par exemple, chantier du Mondial 2022 au Qatar, Pandémie Covid, enjeux sociétaux du développement durable…
– il s’agit de passer à plus de contraintes et à un principe d’opposabilité avec en conséquence une judiciarisation accrue.
La France s’est engagée par la loi de mars 2017 sur le devoir de vigilance applicable aux entreprises de plus de 5 000 salariés avec une approche de vigilance raisonnable autour des droits humains, des libertés fondamentales, du respect des personnes et de l’environnement.
Concrètement le plan de vigilance vise à cartographier les risques, procéder à des évaluations et prévoir des dispositifs d’alerte dans l’objectif d’anticiper les risques et le cas échéant les réparer.
La loi Pacte de mai 2019 renforce les possibilités pour les dirigeants de prendre en considération les enjeux sociétaux et environnementaux ; elle permet notamment pour les entreprises qui le souhaitent d’intégrer la responsabilité sociale dans leurs statuts.
A cet égard, l’exemple de Danone montre les limites du dispositif, le choix de l’implication sociétale n’ayant pas convenu à certains actionnaires a entrainé la démission du président ; pour autant le conseil d’administration du groupe avait voté pour l’intégration de la dimension sociale dans les statuts, lesquels n’ont pas été remis en cause.
Au-delà de la France, 10 états européens ont suivi l’exemple : Allemagne, Pays-Bas, Belgique…et des travaux sont en cours dans d’autres.
La crise Covid a accéléré la prise de conscience de la perte de contrôle des chaines de valeur avec le besoin d’autonomie et de ré-industrialisation.
Une proposition de Directive est initiée avec un objectif de finalisation d’ici fin 2021 : un rapport européen, voté en mars 2021, pose les bases de la réglementation à venir dont :
-une application générale, toutes les entreprises étant concernées,
-un principe de gouvernance visant une vigilance raisonnable autour d’obligations légales au regard des risques encourus que la directive devra préciser.
A souligner par ailleurs l’initiative du Comité des droits de l’homme de l’ONU en vue de poser des éléments contraignants pour la protection des droits humain : des travaux sont en cours en ce sens pour une application au niveau global mondial.
Pour mémoire, des obligations opposables existent déjà sur le fondement de -Charte universelle des droits de l’homme de 1948, des Droits sociaux culturels de l’ONU, des Conventions fondamentales de l’OIT traitant de la négociation collective, de l’interdiction du travail forcé et du travail des enfants, de l’égalité de chances…
Ces différentes initiatives convergent pour passer de la soft law à un système contraignant ; le calendrier n’est pas encore fixé mais l’objectif se situe à un horizon d’un an ou deux.
Questions/Réponses
*Quid de la responsabilité civile de l’entreprise qui ne remplit pas ses obligations ?Il s’agit encore d’un droit nouveau qui n’a pas donné lieu à une jurisprudence établie car les décisions s’appuyant sur la loi de 2017 sont peu nombreuses. On peut cependant évoquer des situations ayant donné lieu à des compromis conclus hors juridiction à l’occasion de l’action d’une ONG à propos d’un barrage EDF en Asie entrainant le déplacement de populations ; aujourd’hui, ce sujet serait traité par un recours judiciaire.
*Au niveau européen quid de l’action des organisations syndicales autour de ces nouveaux enjeux ? La Confédération Européenne des syndicats est active en parallèle des travaux de la Commission et travaille à la formulation de propositions. Il en est de même au niveau international autour du concept de « transition juste » pour favoriser la dé-carbonisation et la sauvegarde de l’environnement : toutes les organisations syndicales sont en première ligne pour passer de la RSE à des actions plus concrètes avec des obligations plus impératives.
*Quid de la conclusion d’accords internationaux ? Des accords internationaux sont conclus au bénéfice des salariés de filiales de grands groupes : exemple, assurance maladie au Vietnam via l’accord conclu au niveau du groupe avec une application au niveau international. Demain avec l’application du devoir de vigilance, un minimum de respect des obligations posées au niveau international sera renforcé : par exemple, les obligations retenues par des entreprises à dimension internationale trouveront application dans le pays africains alors qu’au plan local aucun cadre législatif n’est présent.
*Quel impact de la notion de travail décent posée par l’OIT ? L’approche se fait à partir d’un faisceau avec plusieurs outils : le devoir de vigilance devient plus contraignant et s’articule avec le Pacte Mondial de développement durable de l’ONU et les conventions de l’OIT. La régulation de la mondialisation devient un objectif essentiel pour disposer d’un cadre plus équilibré. La prise de conscience existe et globalement la tendance lourde qui se dessine ne devrait pas s’inverser.
*Quelle vision de la tendance à la judiciarisation ? Du point de vue syndical, la judiciarisation est une bonne chose : au niveau national, il ne doit pas y avoir d’inquiétude dans les pays où l’état de droit est efficient. Au niveau international, la situation est plus compliquée car il est nécessaire de cadrer au préalable la juridiction compétente, procédure applicable, les obligations précises..
*Quid du rôle du CSE et des organisations syndicales ? Ces sujets doivent être discutés à tous les niveaux: le devoir de vigilance un outil utile au dialogue social. Les échanges doivent porter sur les objectifs poursuivis et les solutions à mettre en place, si possible par la voie de co-construction.
*Quid de la position du patronat par rapport au projet de directive ? Il existe des lignes de fraction entre les employeurs : les pays de l’Europe de l’est ont une vision différente des autre pays européens déjà engagés dans de nouvelles législations.
*Tous les syndicats européens sont-ils sur la même ligne ? Tous sont désormais très demandeurs d’une législation en la matière ; certaines organisations –CGT et FO par exemple- ont évolué après une époque où elles étaient opposées à une solution internationale. Aujourd’hui, après des travaux menés en commun, la ligne de fracture a disparu.
*Constate-t-on une évolution dans les chaines d’approvisionnement des grands groupes ? Certains accords internationaux fixent des obligations vis-à-vis des sous-traitants : les cahiers des charges intègrent de la régulation avec plus de clarté sur les engagements posés et des dispositifs de reporting s’attachent à s’assurer de la mise en œuvre des engagements.
Des outils de management sont utilisés par les entreprises internationales. A titre d’exemple, la filiale turque d’Engie a procédé à un changement de sous-traitant en raison de non –respect du pluralisme syndical.
L’intervention des agences de notation mettant en évidence des situations critiques contribuent aussi à la mise en place d’outils pertinents pour vérifier l’application des engagements convenus.
*Quid de l’arrivée des ONG dans le fonctionnement de l’entreprise ? Leur rôle n’est pas nouveau au regard des principes de la RSE ; les lanceurs d’alerte ont pris beaucoup de place car les syndicats n’ont pas toujours connaissance des faits dans certains pays. Les contributions des ONG et des syndicats sont complémentaires et les deux ont intérêt à jouer sur ce registre et non sur celui de la concurrence. La contractualisation via le dialogue social est aussi un moyen de vérifier l’application des principes posés et des actions retenues.
Pour en savoir plus : Visio conférence Dialogues du 31 mars 2021