Pourquoi les dirigeants s’emparent-ils de la QVT ? Les collectifs sont-ils morts ?
*Qu’est-ce que la QVT ? MR : L’ANI de juin 2013 a consacré la QVT au travers de 10 champs d’action centrés sur 3 axes : *Organisation du travail : fonctionnement des équipes, organisation/répartition des tâches ; *Management : capacité à organiser une délibération sur le travail ; à faire remonter l’information ; à faire discuter les salariés ; pratiquer la reconnaissance ; *Dialogue social : négociation, consultation, information, animation d’équipes.
La QVT est donc un domaine plurifactoriel avec au premier plan la qualité du travail.
*Comment expliquer la différence de perception sur le niveau de qualité de la QVT de leur entreprise entre les dirigeants (bon= 96%) et les salariés (bon =70 %) ?
YG : Chacun interprète la QVT selon ses intérêts. Ceci est lié à la position dans l’entreprise et à l’importance des statuts. Dès lors que l’on prend en compte un problème dans l’entreprise, en sortant du déni, on observe inéluctablement des déplacements d’intérêts/préoccupations.
MR : L‘écart de perception entre dirigeants et salariés de l’autre s’explique par 3 éléments :
*Le prisme de l’acteur : le chef d’entreprise est axé sur la mise en œuvre de sa stratégie ; pour le salarié, c’est son quotidien qui est en jeu.
*La manière dont est posée la question : les réponses ne sont pas les mêmes si on demande aux salariés l’état de la qualité de vie au travail dans leur équipe ou au niveau de leur entreprise. En pratique, il y a globalement une satisfaction forte pour l’équipe, très détériorée pour l’entreprise.
*La déconnexion des dirigeants du terrain : plus les dirigeants s’éloignent des processus de travail et ont du mal à les cerner et plus ils demandent du reporting avec une perte de beaucoup d’énergie.
*Comment juger le niveau de QVTl des Français vis-à-vis de leurs voisins européens ?
YG : Les Français s’investissent particulièrement dans le travail, en sont très dépendants pour valoriser leur identité : les tensions vis-à-vis du travail sont liées aux attentes qu’ils y ont placées.
MR : La France est plutôt en retard en matière de QVT, notamment en matière de management et de développement des organisations du travail participatives donnant plus de pouvoir aux opérateurs. L’Eurofound a par ailleurs montré que l’autonomie au travail est plus réduite en France que dans les pays européens.
*Besoin d’autonomie et intensification des rythmes de travail et moindre marge de manœuvre ne constituent-t-elles pas une contradiction ?
MR : L’effort important fait sur l’éducation a élevé le niveau moyen des jeunes : mieux formés, ils se trouvent confrontés à des marges de manœuvre plus réduites. D’où l’intérêt vis-à-vis de l’entreprise libérée et de la création de start-up par les jeunes préférant liberté et dynamisme à la contrainte. L’esprit entrepreneurial est l’aspect positif, mais il peut susciter le désengagement d’autres personnes dans l’entreprise.
YG : On est passé de la figure du contremaître issu du sérail et connaissant le métier à un manager gérant des tableaux de bord,à des managers ne connaissant quasiment rien de la réalité du travail et incapable d’aider les collaborateurs en difficulté. L’entreprise fonctionnant correctement est celle où la hiérarchie est disponible, compétente, sensible aux ressentis subjectifs avec capacité d’adaptation pour ajuster le travail réel à toute situation dégradée. L’entreprise doit développer le soutien et la compréhension de son management pour qu’il puisse exercer en confiance avec son équipe et en régulant à son niveau.
*Qu’est ce qui, aujourd’hui, justifie le rôle du manager ?
MR : Le management intermédiaire est le point central. Or l’entreprise libérée développe son modèle idéal via un dialogue direct chef d’entreprise/collaborateurs. La qualité de la relation avec le manager de proximité est déterminante pour construire la QVT. A défaut d’un acteur de régulation, les tensions montent avec les risques RPS car la dimension humaine est irremplaçable. Il faut reconstruire un management en soutien de l’activité et du développement professionnel.
YG : De nombreuses contradictions objectives pèsent aujourd’hui sur les situations de travail. Dans ce contexte, le manager a toute sa raison d’être pour réguler et prioriser. S’il n’y a pas de manager pour cela, le salarié doit endosser ce paradoxe : d’où un vrai besoin de régulation et d’organisation du travail au quotidien.
*Comment convaincre les entreprises de se lancer dans la QVT ? Quels sont leurs intérêts concrets ?
MR : L’industrie a besoin de développer l’autonomie et les organisations responsabilisantes (ex MAPP chez Michelin) en faisant redescendre le centre de gravité de la prescription du travail.
Dans les services, les salariés étant en forte proportion au contact direct des clients et représentant l’image de l’entreprise doivent être bien dans leur personne d’où l’intérêt de se centrer sur la QVT (santé, climat social, mission d’ambassadeur).
Les startups, souvent en pointe dans la QVT, recherchent la créativité pour innover : avec par exemple la possibilité d’utiliser 10 % de leur temps de travail pour mener des projets personnels.
YG : 2 intérêts pour les dirigeants de s’engager dans la QVT : la prise de conscience qu’un drame dans l’entreprise est très dévastateur en termes de confiance; et la difficulté de fédérer sur une nouvelle orientation si le collectif dysfonctionne, s’il n’y a pas de convictions partagées et de lien de confiance durable. Un calcul à court terme empêchra les adaptations nécessaires.
*Les gains de compétitivité en font aussi partie, peut-être de façon moins directe ?
MR : La matérialité du lien entre QVT et compétitivité doit être développée pour faire comprendre que les investissements à réaliser seront rentables. Les entreprises améliorant leur QVT accroissent leur rentabilité parce qu’elles réduisent certains coûts (assurance maladie…) et augmentent la productivité. Fonctionnant mieux économiquement, elles peuvent investir plus de moyens dans la QVT et mieux traiter les conditions de travail. Ce cercle vertueux doit être engagé.
*Le collectif est-il vraiment une option aujourd’hui ? Comment le management peut-il s’emparer de cette question ?
YG : Le bon fonctionnement d’un collectif permet une coopération; ce qui ne signifie pas être d’accord sur tous les points ; l’intérêt est de pouvoir collaborer avec fluidité dans le travail, s’informer mutuellement, assurer ensemble une cohérence et une continuité.
MR : Dans une société de la connaissance, il est nécessaire que les salariés coopèrent entre eux. La problématique essentielle est celle de la coopération et de la collaboration ; cela nécessite de dépasser l’incantation de l’équipe pour revoir les modes de reconnaissance du travail poussant souvent à l’individualisme (évaluation, rémunération).
Pour en savoir plus :
– Yves Grasset, Nourrir Le collectif, sortir de l’individualisme pour sauver le travail, Paris, L’Harmattan, mars 2017
– Anact, Terra Nova, La Fabrique de l’industrie, par Emilie Bourdu, Marie-Madeleine Péretié, Martin Richer, La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité – Refonder les organisations du travail, Paris, Presse des Mines, 2016
http://www.metiseurope.eu/qvt-et-collectifs-thinspheureux-thinsp-le-role-du-manager_fr_70_art_30525.html