La cour d’appel de Douai (30 11 1018) s’est fondée sur le principe d’adaptation du travail, un des 9 principes généraux de prévention, dans une affaire de harcèlement moral lié à une surcharge de travail. Hervé Lanouzière, membre de l’Igas et ancien directeur de l’Anact propose, dans un article publié le 10 09 19, par les éditions Lamy, une analyse d’une amorce d’évolution de jurisprudence …
Contexte : action d’une salariée contestant son licenciement pour inaptitude médicale et invoquant sa nullité pour des faits de harcèlement moral et violation du principe d’adaptation du travail à l’homme (article L 4121-2 du code du travail).
Faits: une assistante RH est affectée au poste de chargé de clientèle; après un arrêt maladie, le médecin du travail la déclare inapte à son poste en préconisant un poste identique dans un environnement différent, ceci aboutissant à un licenciement pour inaptitude.
Contentieux .Le CPH ayant validé le licenciement, la salariée demande en appel sa nullité pour manquement de l’employeur à son devoir de prévention du harcèlement moral en se fondant sur des conditions de travail sous pression, une surcharge de travail avec heures supplémentaires non rémunérées, une évaluation dévalorisante, un avertissement injustifié, tout ceci ayant eu des conséquences sur son état de santé.
L’employeur soutient que la salariée a été avertie dès sa prise de fonctions de la difficulté de son poste, de la charge de travail, et que d’autres chargés de clientèle exerçant les mêmes fonctions dans les mêmes conditions n’ont fait état d’aucune surcharge ou de pression et considère que l’état de santé de la salariée n’est pas lié à ses conditions de travail.
Dans son arrêt, la cour de Douai rappelle que :* le harcèlement moral et le manquement à l’obligation de sécurité peuvent résulter des méthodes de gestion de l’employeur ou d’un supérieur hiérarchique : * l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser, ne méconnaît pas l’obligation légale de sécurité à sa charge.
Les juges d’appel ont en l’espèce relevé que :
*en tant que chargée de clientèle la salariée était chargée du suivi du nettoyage de 75 agences impliquant les relations avec les clients, la gestion de production et administrative et le management.
*une collègue ayant été arrêtée pour maternité, la salariée a dû prendre en charge 65 agences supplémentaires, ce qui établit que ce remplacement a nécessairement entraîné pour elle une charge supplémentaire.
* la salariée, devant gérer 2 portefeuilles et devant passer sur les sites tard le soir, effectuait des journées de 12 heures sans aide, travaillait tous les samedis matins sans être rémunérée et transmettait de nombreux courriels en dehors de ses horaires de travail.
*des témoignages démontrent le responsable d’agence, alerté à plusieurs reprises sur la fatigue physique et morale de la salarié, n’a pas réagi.
*des pièces médicales attestent l’altération de la santé entraînant des arrêts de travail pour burn-out.
La cour a en conséquence estimé que non seulement l’entreprise ne justifie pas avoir mis en œuvre les mesures de prévention prévues par le code du travail et notamment celles permettant d’adapter le travail à l’homme en particulier, mais qu’informée de la situation, elle n’a pris aucune mesure immédiate propre à faire cesser les faits susceptibles de porter atteinte à la santé de la salariée. L’arrêt, infirmant le jugement de première instance, reconnait que la salariée a été victime d’un harcèlement moral.
Commentaires :
Le principe d’adaptation résulte de l’article L. 4121-2 4° CT: « adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ». Adaptation est utilisée ici dans le sens d’approprier = penser le travail et l’ajuster à ses besoins pour en faciliter la réalisation, voire en améliorer le résultat.
Adapter le travail à l’homme participe aussi à la prévention des discriminations car ce principe suppose de ne pas renoncer à la prise en compte des facteurs individuels (âge, formation, expositions, taille, sexe, état de santé…) sans pour autant en faire des critères de sélection : il ne s’agit pas de concevoir un poste standard pour un salarié moyen mais un poste adaptable, indépendamment des caractéristiques individuelles de celui qui l’occupe.
A retenir : la Cour d’appel de Douai rappelle que l’obligation d’adaptation du travail au sens de travail approprié énoncée au 4° de l’article L. 4121-2 revêt un caractère universel et s’applique de la même manière aux activités de service, lesquelles ne sont pas exemptes de risques professionnels, en particulier de risques psychosociaux (RPS) ; il appartient à l’employeur de les évaluer et de mettre en place, au vu du résultat de cette évaluation pour « une organisation et des moyens adaptés ». En l’espèce, la cour a identifié les méthodes de travail (durée, organisation du temps de travail, cadence, intensité) pour conclure à cadre organisationnel inapproprié dans lequel la salariée avait été placée.
Le terme adaptation dans les principes généraux de prévention peut aussi être utilisé au regard de l’article L. 4121-1, dernier alinéa : « l’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. » Le changement de circonstances constitue le déclencheur décisif de la nécessité d’adaptation : des mesures de prévention, satisfaisantes à un moment donné, doivent être révisées au regard de circonstances nouvelles. Ceci suppose une attitude proactive pour mettre à niveau le cadre dans lequel s’exerce le travail chaque fois que les circonstances le justifient.
L’arrêt de la Cour d’appel de Douai met bien en évidence la survenue d’un changement de circonstances constitué par l’arrêt de travail prématuré d’une salariée enceinte. Bien qu’il reconnaisse la difficulté du poste, l’employeur lui transfère la charge de travail de sa collègue, sans considération des effets sur ses conditions de travail : il lui appartenait d’examiner les adaptations de l’organisation du travail rendues nécessaires pour rendre cette charge de travail soutenable.
En soulevant le non-respect de l’un des neuf de prévention, l’arrêt souligne le fait que l’employeur n’a pas pris toutes les mesures requises par le code du travail du travail ; l’exigence de prendre toutes les mesures prévues à l’article L. 4121-1 vise 3 catégories d’action : prévention des risques, organisation et moyens adaptés, information et formation. Il s’agit d’obligations cumulatives, ce qui suppose d’agir simultanément sur les trois registres. Le plan d’action doit distinguer, pour chacun des volets technique, organisationnel et humain, les mesures de court terme d’une part (réduction immédiate des risques) et celles de moyen et long terme d’autre part (amélioration durable de la prévention, généralisation…) .
A souligner sur un plan plus général que l’ambition première du 3ème Plan santé au travail est de diffuser la culture de prévention auprès des employeurs et des travailleurs pour s’approprier la démarche de prévention.
https://www.actualitesdudroit.fr/browse/social/sante-securite-et-temps-de-travail/23266/adapter-le-travail-a-l-homme-la-portee-pratique-et-juridique-insoupconnee-d-un-principe-essentiel-de-la-sante-au-travail