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Droit d’expression de l’employeur : peut-il remettre en cause le travail d’un salarié ?

A propos d’un litige grec, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que la condamnation d’un employeur pour diffamation calomnieuse enfreint sa liberté d’expression.


Contexte : à sa nomination, le nouveau P-DG demande à tous les employés de lui fournir des informations sur l’étendue de leurs responsabilités professionnelles ; la juriste de l’entreprise l’informe oralement de toutes les procédures judiciaires en cours et lui  fournit ensuite un rapport de 6  lignes que le P-DG estime incomplet. Après avoir mis fin aux fonctions de l’intéressée et lui avoir plusieurs fois demandé de remettre les dossiers des actions judiciaires en cours, le P-DG lui adresse une lettre mettant en cause son comportement non professionnel, contraire à l’éthique et lui reprochant son intention malveillante de porter préjudice à l’entreprise.

La salariée dépose une plainte au pénal contre son employeur pour diffamation calomnieuse qui est  condamné à 5 mois de prison avec sursis par les juridictions grecques ayant estimé que l’employeur a utilisé des expressions qui n’étaient pas nécessaires à la protection des intérêts de l’entreprise. Le P-DG saisit la CEDH, estimant que sa condamnation pour diffamation calomnieuse a violé sa liberté d’expression garantie par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’Homme.

Contentieux : L’article 10 de la convention européenne définit la liberté d’expression et les limites qui peuvent y être apportées : celles-ci  doivent être prévues par la loi, être nécessaires dans une société démocratique et poursuivre un intérêt légitime (sécurité nationale, prévention du crime, protection de la réputation et des droits des tiers…). En l’espèce, de la CEDH souligne que l’ingérence dans la liberté d’expression était prévue par le Code criminel grec avec un dispositif de condamnation en cas de diffamation calomnieuse et estime que cette atteinte à la liberté d’expression poursuit également un but légitime : la protection de la réputation et des droits des tiers, en l’occurrence, la réputation de la conseillère juridique.

Pour examiner le caractère nécessaire au regard des enjeux démocratiques d’une atteinte à la liberté d’expression, la CEDH est conduite à chercher si les autorités nationales ont trouvé un équilibre entre deux droits garantis par la convention européenne : la protection de la liberté d’expression prévue (article 10 de la Convention) devait être mise en balance avec le droit au respect de la vie privée (article 8 de la même Convention). Pour évaluer si les autorités nationales ont bien respecté l’équilibre entre ces deux droits, la CEDH utilise 4 critères : la nature du document et la manière selon laquelle il a été communiqué ; le contexte dans lequel ce document a été élaboré ; la façon dont il a pu affecter la personne mise en cause ; la sévérité des sanctions imposées à l’auteur du document litigieux. Ainsi, la CEDH relève que l’impact sur la réputation de la salariée était assez limité car :

-si les allégations du requérant concernant le comportement professionnel de la salariée étaient assez sérieuses, le langage utilisé n’était pas fort, vexatoire et immodéré ;

-le document a été élaboré dans le contexte d’un conflit entre l’employeur et la salariée, ce qui n’a pas été pris en compte par les juridictions nationales ;

-le document a été envoyé en privé et l’employeur n’a pas publié cette information de manière extérieure à l’entreprise.

La Cour se prononce aussi sur la sévérité de la sanction en rappelant que la possibilité d’imposer une sanction d’emprisonnement dans les cas de diffamation est compatible avec la protection de la liberté d’expression uniquement dans des circonstances exceptionnelles, en particulier lorsque des droits fondamentaux ont été sérieusement mis en cause. Dans ce contexte, la Cour juge qu’une peine de 5 mois de prison avec sursis infligée à l’employeur, par sa nature même, aura inévitablement un effet dissuasif sur la liberté d’expression, peu importe que la peine soit avec sursis.

En conséquence, elle conclut que les raisons invoquées par le Gouvernement grec pour porter atteinte à la liberté d’expression de l’employeur par le biais d’une condamnation pour diffamation calomnieuse n’étaient pas pertinentes et suffisantes.

Pour en savoir plus : : CEDH 25-3-2021 n° 1864/18, Matalas c/ Grèce

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