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Méthodes d’évaluation des salariés: ranking et critères comportementaux …

L’employeur peut mettre en place les méthodes ou techniques d’évaluation de son choix à condition qu’elles soient pertinentes au regard de la finalité poursuivie (art. L. 1222-3, al. 3 Ct). Selon la jurisprudence, l’évaluation doit être fondée des critères précis et objectifs. La Cnil considère également que l’appréciation des aptitudes professionnelles doit se faire sur la base de critères objectifs et présentant un lien direct et nécessaire avec l’emploi occupé (Délib.  13 01 2005). Un système d’évaluation fondé sur des critères flous, ne permettant pas de savoir si ce sont des compétences et des objectifs concrets qui sont jugés ou des comportements qui sont évalués avec le risque de subjectivité a été jugé illicite (TGI Nanterre 5 09 2008, n° 08-05737).

Le système du ranking, – consistant à classer les salariés en différentes catégories en fonction de leurs performances professionnelles et à fixer l’augmentation des salaires en relation avec ce classement – est licite, dès lors qu’il repose sur des éléments objectifs, non discriminatoires et des critères préétablis, objectifs, connus et contrôlables, et qu’il n’a pas un caractère disciplinaire (CA Grenoble, soc., 13 11 2002, n° 02/02794 Hewlett Packard). Tout autre est le système de ranking par quotas qui vise à classer les salariés en différentes catégories en fonction de leurs performances professionnelles, tout en imposant à l’évaluateur de respecter pour chaque catégorie, un pourcentage prédéterminé de salariés à affecter .  Cette méthode a été condamnée par la Cour de cassation car reposant sur la création de groupes affectés. Les aptitudes du salarié n’ont en effet pas à être minimisées ou surévaluées pour remplir des quotas préétablis ; des quotas présentés à titre purement indicatif peuvent cependant être admis dès lors que l’évaluation reste fondée sur une appréciation objective des compétences et du travail (Cass soc 27 03 2013,  11-26.539)

Les critères comportementaux doivent faire l’objet d’une vigilance particulière. Si, pour apprécier les aptitudes professionnelles d’un cadre dont l’activité n’est pas toujours quantifiable (animation de projet, direction d’équipes), des critères reposant sur le comportement ne sont pas a priori illicites, ils doivent être exclusivement professionnels et suffisamment précis pour permettre au salarié de l’intégrer dans une activité concrète et à l’évaluateur de l’apprécier avec la plus grande objectivité possible. Les critères dont la connotation morale rejaillit sur la sphère personnelle doivent être exclus car trop imprécis pour établir une relation directe suffisante avec une activité professionnelle identifiable et nécessitant une appréciation trop subjective de la part de l’évaluateur. Ainsi, le critère « agir avec courage » a ainsi été jugé trop subjectif (CA Toulouse, 21 septembre 2011, n° 11/00604). Des critères tels que l’ouverture vers l’extérieur, la clairvoyance, l’imagination, la capacité à fédérer et l’expertise ont été jugés légitimes car ces compétences entrent dans le cadre de l’évaluation professionnelle dans la mesure où elles sont développées en relation avec le travail effectué (CA Versailles, 2 10 2012, n° 12/00276).

Les critères utilisés doivent aussi assurer la préservation de la santé des salariés au regard des risques psychosociaux. La pratique des entretiens d’évaluation est en effet susceptible d’avoir des répercussions sur la santé au travail : une dépression nerveuse soudaine, reconnue comme ayant une relation de cause à effet avec un entretien d’évaluation, a été qualifiée d’accident du travail (Cass. soc 1 07 2003, n° 02-30.576 ;  Cass. soc 29 11 2006, n° 04-47.302). A été jugé valide un système de « benchmark », consistant à évaluer continuellement la performance des commerciaux par une comparaison permanente de leurs résultats, dès lors qu’il n’était pas source de souffrance collective pour les salariés , des garde-fous ayant été mis en place par l’employeur :  résultats de chacun des salariés non consultables par les autres, mais seulement par le salarié concerné et son manager, formations spécifiques mises en place à l’attention des managers, postes aménagés pour les salariés  ne souhaitant plus  exercer de fonctions commerciales (CA Lyon, 21 02 2014, n° 12/06988).

Un système d’autoévaluation a été admis (CA Versailles, 19 12 2014, n° 13-03952) : aucune disposition ne proscrit l’implication du salarié dans son évaluation, par sa propre appréciation des résultats qu’il a atteints et des conditions dans lesquelles il est parvenu à ces résultats.

Un jugement récent du Tribunal de Nanterre rendu à propos du système d’évaluation mis en place par Alcatel Lucent apporte des éléments intéressants:

-le principe d’une évaluation n’est pas discuté, seules les modalités de celle-ci sont en litige.
si les critères énumérés sont suffisamment précis pour être rattachés à l’activité professionnelle et appréciés de manière objective, toutefois les outils mis à disposition des évaluateurs pour les apprécier le sont moins et notamment selon les annexes du dispositif où figurent, les éléments permettant “la discussion” sur chacun des critères;   ceux -ci comportant des termes renvoyant à des notions à résonnance morale ou affective,  ne permettant pas, de la part de l’évaluateur, un jugement objectif, strictement en lien avec le travail exécuté, de nature à éviter un traitement personnel de l’évaluation.
-ces notions ne sont pas définies et ont des connotations morales et comportementales dépassant la sphère professionnelle et sont trop imprécises pour caractériser une relation directe, suffisante et utile avec une activité professionnelle identifiable.
– Si l’employeur peut évaluer outre la quantité, la qualité de travail et moduler cette appréciation selon les fonctions du salarié, en l’espèce, les termes choisis dans les commentaires cités recouvrent une réalité non objectivable. ; en conséquence, la société doit supprimer de son dispositif l’ensemble de ces commentaires figés liés aux notes.

-l’évaluation ne relève pas du seul manager, celui-ci élaborant un document préparatoire qui est ensuite examiné avec les line managers puis les responsables des ressources humaines qui “veillent à la cohérence et l’équité lors des sessions”; dans l’hypothèse d’un désaccord entre un manager et un collaborateur, ce dernier peut exercer un recours auprès du line manager et du référent RH qui informe le consultant RH pour faire une étude de ce cas; en conséquence, la violation de l’obligation de sécurité reprochée à l’employeur au travers du dispositif d’évaluation n’est pas démontrée.

-sur la rédaction du document d’évaluation rédigé en langue anglaise, il est rappelé que l’article L 1321-6 du code du travail énonce que le règlement intérieur est rédigé en français. Il peut être accompagné d’une traduction en une ou plusieurs langue étrangère. Il en va de même pour tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail. 

– il est non contesté que le dispositif d’évaluation est intégralement rédigé en langue anglaise et que les entretiens d’évaluation se mènent et que les formulaires en résultant sont élaborés dans cette même langue et peu importent les éléments de contexte invoqués par la société: les salariés français travaillant sur un site français doivent avoir accès dans leur langue maternelle à des documents ayant un impact sur leur vie professionnelle, leur évolution de carrière et leur contrat de travail. Rien n’empêche que parallèlement ces mêmes documents existent également en langue anglaise, très utilisée dans le groupe.
-en conséquence, le dispositif d’évaluation est inopposable aux salariés en ce qu’il leur est soumis en langue anglaise et tant qu’il leur sera soumis dans cette seule langue.

A lire avec intérêt ce jugement très motivé sur les différents points juridiques soulevés : TGI Nanterre 31 janvier 2018  N° RG 17 /04 685, Fédérations Métallurgie CFE CGC, CFDT, CGT contre SAS Alactel Lucent Internationnal.

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