* rappelle qu’ »en l’absence de clause de neutralité dans le règlement intérieur (ou une note de service) interdisant aux salariés en contact avec la clientèle de porter un signe politique, philosophique ou religieux visible sur le lieu de travail, seule une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause sont à même de justifier la discrimination directe en découlant ».
*précise ce que recouvre cette exigence professionnelle essentielle et déterminante : si elle ne saurait couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client, « elle peut, en revanche, correspondre à un objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise ».
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt, le salarié, consultant sûreté d’une société assurant des prestations de sécurité et de défense pour des gouvernements et des organisations internationales, s’était vu reprocher le port d’une barbe « taillée d’une manière volontairement signifiante aux doubles plans religieux et politique » et avait été licencié pour faute grave suite à son refus « de revenir à une barbe d’apparence plus neutre ». Les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, ont estimé le licenciement discriminatoire.
Pour confirmer la condamnation, la Cour de Cassation estime qu’en présence d’une restriction à la liberté religieuse, il faut s’interroger sur :
- une clause de neutralité générale, indifférenciée, appliquée aux seuls salariés en contact avec les clients et interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail figure-t-elle dans le règlement intérieur ou une note de service ?
- en l’absence d’une telle clause, une exigence professionnelle et déterminante permet-elle de justifier la restriction ?
Ainsi, la Cour de cassation rappelle que:
*les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et être proportionnées au but recherché.
*il en va de même lorsque ces restrictions figurent dans le règlement intérieur.
La cour de cassation retient, selon les principes de la CJUE, que la clause qui permet d’imposer la neutralité dans l’entreprise doit impérativement figurer dans le règlement intérieur ou une note de service et répondre à deux critères :
- être générale et indifférenciée, interdisant aussi bien les signes religieux que les signes politiques et philosophiques ;
- ne s’appliquer qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients.
En l’espèce, la chambre sociale relève que:
-« l’employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu’il entendait imposer au salarié en raison des impératifs de sécurité invoqués ». Elle en déduit que « l’interdiction faite au salarié, lors de l’exercice de ses missions, du port de la barbe, en tant qu’elle manifesterait des convictions religieuses et politiques, et l’injonction faite par l’employeur de revenir à une apparence considérée par ce dernier comme plus neutre caractérisaient l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié ».
-une telle discrimination directe fondée sur les convictions religieuses et politiques peut toutefois être justifiée par une « exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de l’article 4 § 1 de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000. Cette notion « renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause; ainsi, les demandes d’un client relatives au port d’une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante »,
En revanche, « l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise peut justifier des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l’employeur d’imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif ». En l’espèce, bien que l’employeur évoquait des impératifs de sécurité avancés, il « ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l’exécution de la mission du salarié au Yémen de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés du salarié ». La Cour de cassation valide donc l’arrêt d’appel ayant prononcé la nullité du licenciement reposant, au moins pour partie, sur un motif discriminatoire..