Dans un très long entretien accordé à Sociétal, N. Notat, co-auteur avec JD Senard du rapport ayant posé les fondations de la loi PACTE, présente la genèse et les conséquences de la modification de l’article 1833 du Code civil qui insuffle une nouvelle conception de la gouvernance durable de l’Entreprise.
*Quel est le fondement principal de la loi PACTE ? Préciser que l’entreprise a un intérêt social et prend en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité avec la mise en évidence que l’entreprise a un intérêt propre, qui ne saurait se réduire à celui de ses actionnaires. Ce qui induit de donner aux dirigeants une responsabilité élargie à d’autres parties prenantes.
*Les questions de rentabilité des entreprises passent-elles au second plan ? Ce n’est pas la vision de la loi PACTE car la rentabilité des investissements et la rémunération des investisseurs institutionnels ou épargnants individuels gagnent à s’inscrire dans une stratégie de long terme en cohérence avec l’intérêt social de l’entreprise. Les défis de développement durable, du dérèglement climatique, de la sauvegarde de la biodiversité, de l’évolution des modes de consommation, l’attention portée au capital humain appellent des changements des modes de production, de modèle économique sans lesquels l’entreprise se mettrait en risque.
*D’autres évolutions notables sont-elles ouvertes ? L’innovation importante réside dans l’affirmation de la notion de « raison d’être » qui explicite l’objet social de l’entreprise et énonce les principes guidant les décisions stratégiques et opérationnelles des dirigeants. La reconnaissance juridique de l’objet social et la raison d’être inscrite dans les statuts conduisent les actionnaires eux-mêmes à admettre que leur intérêt propre ne s’oppose pas à l’engagement des dirigeants en direction de leur écosystème.
*Y a-t-il risque de favoriser une certaine judiciarisation…C’est la raison de vigilance particulièrement sur la formulation des recommandations faites : le choix a été de donner aux dirigeants et au conseil d’administration le soin de définir les enjeux dans un dialogue fécond avec ses parties prenantes.
*Quel impact sur un nouveau mode de gouvernance de l’entreprise ? L’ambition reprise par le législateur était d’intégrer les principes posés dans la gouvernance dans le maximum d’entreprises quelle que soit leur forme juridique. À ce titre, le Code du commerce a été adapté et les entreprises qui le souhaitent peuvent se définir comme « entreprise à mission ». La loi a également renforcé la présence d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration, moins fortement que la recommandation du rapport, mais réelle.
*Comment cette loi a-t-elle été perçue ? Le rapport et la loi ont joué un rôle d’accélérateur de la réflexion comme de l’action. Le nombre d’articles dans les médias, de livres publiés ont alimenté la réflexion et popularisé ces nouveaux concepts, révélé de bonnes pratiques.
*Deux ans après, quelles sont vos premières observations ? Une dynamique s’est créée : des raisons d’être ont été formalisées avec ou sans inscription dans les statuts. La question de l’exécution reset centrale et procéder à son évaluation est indispensable pour analyser comment les acteurs s’en sont saisis. Aussi il est utile de procéder à un état des lieux rendant compte du nombre d’entreprises engagées, de repérer les meilleures pratiques, de comprendre les freins et se donner les moyens de les lever.
*L’aspect optionnel de loi sur la définition de la raison d’être était-il le plus approprié ou fallait-il la conditionner à des conditions ou la rendre obligatoire aux entreprises ? Pour faire bouger les lignes, il est utile de passer par des lois qui incitent à l’action avant d’en faire des lois impératives : l’expérience et la pratique éclairent les mesures législatives. Cela dit, il n’est pas illégitime que des aides publiques ciblées soient assorties de garanties, à condition de préciser clairement leur nature. La question des garanties est donc complexe et mérite d’être approfondie dans son principe et dans ses modalités.
Entreprise à mission : de quoi s’agit-il ? S’inspirant d’une origine américaine, il s’agissait d’obtenir pour les dirigeants une sécurité juridique face au risque de condamnation pénale, leur responsabilité fiduciaire imposant la maximisation de la valeur pour l’actionnaire. Certains entrepreneurs en France se sont engagés dans cette démarche et l’idée était de la faire reconnaître dans le droit français : la loi a reconnu cette possibilité avec l’obligation d’inscrire la « mission » dans les statuts. Le terme de mission rejoint sur le fond celui de raison d’être mais manifeste un niveau d’engagement plus fort : inscription obligatoirement inscrire la mission dans les statuts, création d’un comité de mission et évaluation par un tiers externe indépendant.
*Comment gérer les inévitables tensions entre les différents enjeux de l’entreprise ?Il ne s’agit pas de verser dans l’idéalisme du consensus coopératif naturel entre tous les intérêts en présence. Ce qui compte est que les arbitrages après une analyse approfondie et convaincante, après les phases de dialogue et de consultation soient reconnus comme incontournables.
*Comment embarquer les salariés dans ces changements ?Une entreprise qui veut progresser dans la voie d’une raison d’être formalisée, d’une mission formulée, et qui imaginerait pouvoir le faire sans embarquer ses salariés, ferait fausse route : l’enjeu est d’éclairer le cap et la méthode est déterminante. L’association des salariés sous diverses formes et l’implication des représentants des salariés confortent la pertinence de la raison d’être et renforcent l’adhésion. Cela n’exonère pas les dirigeants d’être à l’écoute de leurs autres parties prenantes : clients, fournisseurs, sous-traitants…
*Dans les systèmes d’évaluation/notation, faut-il imaginer de nouveaux indicateurs ? La Commission européenne réfléchit à créer un socle d’indicateurs accessibles et comparables. Une certaine harmonisation est nécessaire en particulier pour l’évaluation de la performance extra-financière des sociétés, les comparer et faciliter les décisions d’investissement.
*Faut-il renforcer les prérogatives des CSE? Les relations entre les dirigeants et les représentants des salariés ont besoin d’être structurées et ouvertes. Limiter le champ de l’information/ consultation et de la négociation collective n’est pas la solution.
Pour en savoir plus : https://www.societal.fr/nicole-notat-nous-ne-mesurons-peut-etre-pas-encore-le-changement-fondamental-que-cette-modification