Au milieu des années 2000, France Télécom est touchée par une profonde crise sociale. Privatisation, ouverture à la concurrence, transformation du marché de la téléphonie, révolution technologique et dette élevée fragilisent l’institution. Ses dirigeants engagent une restructuration, avec un objectif de 22 000 départs, 10 000 mobilités et 6 000 recrutements via un plan triennal Next et son volet social ACT.
Les méthodes utilisées sont coercitives. Devant les cadres supérieurs et dirigeants de l’entreprise, le PDG exige des départs d’une façon ou d’une autre… Cette restructuration à marche forcée provoque une vague de suicides: en 2 ans, plus d’une trentaine d’agents de France Télécom se donnent la mort ou font des tentatives de suicide.
Sur plainte du syndicat SUD PTT, en 2019, un procès en première instance se tient Tal Correctionnel de Paris: pour la première fois, le jugement reconnaît la notion de harcèlement moral institutionnel.
Le 30 septembre 2022, la cour d’appel de Paris confirme la décision avec un allègement des peines :l’ancien et son ex-numéro deux sont condamnés à un an d’emprisonnement avec sursis. 2 anciennes cadres de l’entreprise sont reconnues coupables de complicité.
A propos du harcèlement moral : Le harcèlement moral vise des agissements, propos et comportements répétés « qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » : article L1152-1. Reconnu comme un délit par la loi du 4 août 2014, il est condamné par l’article 222-33-2 du Code pénal.
Au-delà des drames individuels et collectifs, l’enjeu du procès France Télécom est d’établir si des faits ne relevant pas de relations individuelles avec des salariés peuvent constituer des faits de harcèlement moral. En condamnant les dirigeants de France Télécom en première et deuxième instances, la justice a reconnu la responsabilité des dirigeants pour harcèlement moral institutionnel résultant de la politique d’entreprise conçue et mise en œuvre par les dirigeants.
Ainsi , la cour d’appel de Paris relève les faits de harcèlement moral institutionnel : « Les décisions d’organisation prises dans le cadre professionnel peuvent, dans un contexte particulier, être source d’insécurité permanente pour tout le personnel et devenir alors harcelantes pour certains salariés. […] Le harcèlement institutionnel a […] pour spécificité d’être en cascade, avec un effet de ruissellement, indépendamment de l’absence de lien hiérarchique entre le prévenu et la victime. »
Les faits constitutifs de harcèlement moral institutionnel dans le dossier France Télécom: le harcèlement moral institutionnel est constitué dès lors que les dirigeants ont adopté une « méthode dirigiste et autoritaire qui a excédé très largement le pouvoir de direction et de contrôle du chef d’entreprise ». En outre, les anciens dirigeants ont poursuivi« l’accélération impérative de la déflation des effectifs » sans tenir compte des impacts sur les salariés, et ce en dépit des alertes des syndicats, des instances représentatives du personnel et des remontées de la presse.
Pendant les procès, ont été pointés du doigt des réorganisations internes successives, un rythme de transformation non supportable, des quotas par service de « sorties pilotées », des pratiques répétées harcelantes… avec pour résultats : stress, pression et l’insécurité pour les salariés, dégradation de leurs conditions de travail, atteinte à leurs droits et des altérations physiques et mentales ayant conduit à des suicides et des dépressions. La répétition des agissements et leurs conséquences sont reconnues comme relevant de la définition du harcèlement moral, mais porté à un niveau supérieur, celui de l’institution.
A retenir : L’Affaire France Télécom a provoqué une prise de conscience de la part des pouvoirs publics et des entreprises. Elle fait évoluer les pratiques en matière de management et de ressources humaines, avec une meilleure prise en compte des risques psychosociaux et du harcèlement moral.
En 2008 et 2010, deux accords interprofessionnels sont signés, l’un sur le stress au travail, l’autre sur le harcèlement et la violence au travail. En 2014, le harcèlement moral est inscrit au Code pénal.
Plus récemment, la loi du 2 août 2021 renforce la prévention de la Santé au travail, modifiant les obligations des employeurs en matière d’évaluations et de prévention des risques professionnels, dont les risques psychosociaux.
La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel est un pas de plus pour permettre aux entreprises de prendre en considération la protection de la sécurité des salariés au travail.
Pour en savoir plus : https://www.editions-legislatives.fr/actualite/proces-france-telecom-le-%C2%AB-harcelement-institutionnel-%C2%BB-confirme-par-la-cour-dappel/
ANI Santé au Travail 9 décembre 2020 : 10 points à retenir
L’accord affirme l’importance de la prévention primaire dans le dispositif de santé au travail. Il cherche aussi à encadrer davantage l’action des services de santé au travail interentreprises sans remettre en cause l’organisation du système français.
1 – La prévention de la désinsertion professionnelle : l’accord affirme que la prévention de la désinsertion professionnelle nécessite un repérage précoce et une meilleure collaboration entre médecins de ville, du travail et conseil : systématisation des visites de reprise, de pré-reprise, et mise en place une visite de mi carrière pour repérer une inadéquation entre le poste de travail et l’état de santé. L’accord prévoit la mise en place, au sein des SSTI, renommés SPSTI pour intégrer prévention, de cellules de prévention de la désinsertion professionnelle. L’objectif est d’apporter des solutions personnalisées avec un plan de retour au travail formalisé entre l’employeur, le salarié et la cellule PDP.
2 – Pour mieux tracer les expositions chimiques, un document unique archivé : l‘accord prévoit la conservation des versions successives du document unique pour faciliter la traçabilité et propose une information synthétique extraite des différents documents qui traitent du sujet (fiche d’entreprises, fiches de données et de sécurité…). La traçabilité collective doit permettre d’évaluer la polyexposition des salariés aux produits chimiques du fait de l’effet combiné qu’ils peuvent produire. Les partenaires sociaux ouvrent aussi la voie vers le suivi post professionnel.
3 – Les risques psychosociaux en première ligne : L’ANI comprend une liste, présentée comme exhaustive, des risques professionnels parmi lesquels figurent les RPS. Les partenaires sociaux valorisent la démarche de prévention préconisée dans le rapport Gollac.
4 – Un passeport prévention attestant des formations en santé-sécurité des salariés à créer . L’accord prévoit la création d’un passeport prévention pour tous les salariés et apprentis, attestant de la réalisation de formations généralistes communes à tous et de formations plus spécifiques dont le contenu serait défini par les branches.
5 – La médecine de ville associée : l‘ANI prévoit la mise en place par le SSTI d’une liste de médecins praticiens correspondants, -MPC- qui pourraient réaliser des visites médicales initiales, périodiques et de reprise pour les salariés sans surveillance spécifique ; reste à définir le protocole encadrant cette mission. L’accord rappelle les tâches incombant au médecin du travail tout en en envisageant d’élargir l’action des infirmiers en pratiques avancées formés en santé au travail.
6 – Aux SPSTI, un cahier des charges à fixer : à partir du constat de l’ insatisfaction de certains employeurs du service rendu par les SSTI, l’accord veut les moderniser et revoir leurs missions avec une offre socle minimale imposée autour de 3 missions : prévention en général, suivi individuel des salariés et prévention de la désinsertion professionnelle. Une certification est prévue à partir d’un cahier des charges élaboré paritairement, attestant du respect de l’offre socle. Des prestations complémentaires, facturées en plus, sont possibles.
7 – Les branches professionnelles mobilisées : les partenaires sociaux invitent les branches à négocier des accords sur le sujet et à se doter d’une commission paritaire dédiée à la santé et à la sécurité au travail.
8 – La même organisation conservée : l’accord ne réforme pas le système et conserve le statut associatif des SSTI avec un maillage territorial fondé sur une taille pour les services, impliquant des fusions. L’idée d’intégrer l’Anact à l’INRS et celle de séparer les missions de contrôle et de conseil des Carsat ne sont pas reprises.
9 – … ou presque : la nouveautéen matière d’organisation du dispositif est la création d’un comité national de prévention santé au travail au sein du Coct et de ses équivalents régionaux. Leurs missions s’étendent à l’élaboration du cahier des charges de certification des SSTI, la définition d’indicateurs d’évaluation des services, ou encore l’évaluation de leur rapport qualité prix. Ces instances devront promouvoir l’action en réseau, notamment pour favoriser les actions en matière de qualité de vie et conditions de travail –QVCT-.
10 – L’obligation de moyens rappelée : l’accord rappelle la jurisprudence selon laquelle l’employeur est considéré comme ayant rempli ses obligations en matière de santé et sécurité s’il a mis en œuvre des actions de prévention relatives aux risques identifiés.
Pour en savoir plus : https://www.editions-legislatives.fr/actualite/negociation-sante-au-travail-les-10-commandements-de-l-accord-conclu-hier
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