Contexte : une infirmière DEA embauchée par une Association assurant une mission de santé, a fait l’objet d’une mesure de suspension de son contrat de travail en septembre 2021 au regard de l’obligation vaccinale. L’employeur a confirmé, après tenue d’un entretien préalable, la suspension du contrat de travail en prenant en compte le dépôt de congés annuels en octobre 2021.
*La salariée a saisi le Conseil de Prud’hommes en réclamant/
– le prononcé de la nullité de la procédure visant à la suspension du contrat de travail pour défaut de vaccination,
– la déclaration de la nullité de la décision de suspension du contrat de travail
– a réintégration dans son poste
– le versement le salaire sur la période concernée.
A titre subsidiaire, la salariée demandait également la suspension de son obligation vaccinale dans l’attente des décisions à intervenir sur les questions prioritaires de constitutionnalité dont est saisi le Conseil d’Etat.
*L’employeur pour sa part demandait que soit jugé que la salariée n’est pas victime d’une suspension arbitraire de son contrat de travai, que soit constaté l’existence d’ une contestation sérieuse et une absence de trouble manifestement illicite justifiant que la formation de référé du Conseil de Prud’hommes d’Alençon se déclare incompétente pour connaître du litige.
Décision intervenue : Le conseil de Prud’hommes d’Alençon, en formation de référé s’est déclaré compétent pour juger les demandes présentées en retenant que :
* le directeur étant en capacité de signer la lettre de suspension, la salariée est déboutée de sa demande de nullité de la procédure.
*la salariée étant suspendue sans salaire à compter du 16 09 21 , alors par référence à l’article 1331-1 du code du travail , cette suspension constitue un sanction puisque cette mesure affecte la présence et la rémunération de la salariée alors qu’aucune faute ne lui est reprochée, l’employeur n’ayant à aucun moment fait mention de sanction dans les courriers adressés et ce d’autant plus qu’aucun délai de suspension n’a été précisé ; la suspension du contrat de travail et du salaire est irrégulière et porte atteinte aux droits des travailleurs énoncés par les Conventions Internationales signées par la France. Ainsi la salariée, restée à la disposition de l’employeur, a droit à son salaire peu importe que ce dernier ne lui fournisse pas de travail. La suspension de la salariée s’étant transformée en une sanction illicite sans terme, l’employeur est tenu de verser les salaires depuis la suspension du contrat de travail.
Par ailleurs, sur le refus de la salariée de se soumettre à une injection en phase d’essai clinique, l’Agence Européenne du médicament n’a délivré qu’une Autorisation de Mise sur le Marché conditionnelle répondant aux dispositions des dispositions européennes, cela autorisait la salariée à refuser la prise d’un traitement.
En conséquence, le Conseil décide de mettre fin au trouble manifestement illicite et au dommage en découlant, en ordonnant la réintégration de la salariée et le règlement des salaires afférents à la période de suspension.
Pour en savoir plus : Jugement CPH Alençon, Référé, 01 02 22.
Ordonnances de référé des Conseils de prud’hommes de Colmar et d’Alençon : affaiblissement et éclatement de la notion de droit…Chronique de Gilles Joureau, Avocat.
REFLEXIONS de Gilles JOUREAU, Avocat spécialisé en Droit du travail, à l’attention du Législateur et du Juge
« On sait que la loi du 5 aout 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a imposé la vaccination contre la Covid à certains salariés du fait de leur activité ou de leur lieu de travail. Il convenait d’avoir un schéma vaccinal complet au 15 octobre 2021.
La loi précisait que l’employeur devait contrôler et au besoin sanctionner. Ainsi celui-ci pouvait suspendre le contrat de travail et la rémunération à défaut de justification de cette obligation.
Dans l’affaire de Colmar et l’ordonnance du 16 février 2022, une salariée comptable dans un Ephad avait refusé de se faire vacciner. Concernant le dossier d’Alençon et l’ordonnance du 1° mars 2022, il s’agissait d’une infirmière également soumise à l’obligation. A la suite de la suspension de leur contrat de travail et la non rémunération, elles ont saisi la justice.
1-Pour donner gain de cause aux salariées, les juges ont invoqué ;
–Pour Colmar, Une atteinte à une liberté individuelle non justifiée et non proportionnée (art L 1121-1 du code du travail) ; Une discrimination fondée sur l’état de santé (art L 1132-1 du code du travail) ; Le R G P D, règlement européen interdisant de collecter des données sur l’état de santé des salariés. Enfin, les juges ont considéré qu’ayant un bureau avec un accès propre, la comptable n’avait pas de contact avec la clientèle.
–Pour Alençon la formation de référé a fait référence à : L’interdiction de sanction pécuniaire en l’absence de faute ; Le droit de refuser un vaccin qui bénéficie d’une autorisation conditionnelle ; L’obligation pour l’employeur de fournir un travail aux salariés. Les juges ont ordonné la reprise du versement des salaires et le paiement des rappels.
2-La loi du 05/08/2021 avait été validée après recours. Il convient de rappeler ;
*Qu’elle n’a pas été censurée par le Conseil Constitutionnel, qui a précisé que la Constitution de 1946 garantissait à tous la protection de la santé.
*Que la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’urgence sanitaire. (Décision 2020-800 du 11/05/2020).
En effet, Les pouvoirs pris au titre de l’état de crise sanitaire ne sont pas d’une nature différente des compétences de police confiées à l’Administration notamment ;
-concernant l’art 3131-1 du Code de la Santé Publique (mesures d’isolement en cas de menaces sanitaires graves)
-à propos aussi de l’art 3115-10 du Code de la Santé Publique (lutte contre la propagation des maladies).
-c’est le règlement C E n° 726/2004 qui donne à l’Agence Européenne du Médicament l’autorisation de mise sur le marché.
– La justice s’est déjà prononcée et le juge de référé du Tribunal Administratif de PAU a jugé « que les vaccins ne sauraient être regardés comme des médicaments expérimentaux … » TA PAU ord de référé n° 2102411 du 16 septembre 2021 ;
-EN DEFINITIVE le Conseil, Constitutionnel a retenu la conformité de la loi du 05 aout 2021 aux droits et libertés fondamentales en constatant le risque particulier de virus dans certains secteurs d’activité dans sa décision. La loi permettait de suspendre un salarié qui ne respecte pas les règles édictées.
3-Pourtant les ordonnances de référé ont écarté la règle de droit : En effet les arguments rappelés ci-dessus et confortés par les juridictions n’ont pas convaincu les juges de Colmar et d’Alençon.
Plusieurs explications peuvent être apportées à ces décisions dont quelques-unes.
A-Les juges ont la tentation, du fait de la multiplication des règles de droit et des principes, de se saisir de celles qui sont déjà protectrices de droits individuels et de libertés individuelles pour les opposer aux règles générales.
B-Le juge invoque un principe de droit, exemple discrimination, secret médical, atteinte disproportionnée aux droits pour écarter une loi d’application générale, mais contraignante.
C-Ces ordonnances projettent un avenir juridictionnel qui sera une opposition, entre le respect d’une règle de droit générale édictée pour le respect de la collectivité mais qui est coercitive, avec une loi protectrice d’un droit individuel.
D-Cela risque d’entrainer à terme l’effacement et l’éclatement de la notion d’intérêt général au détriment des intérêts particuliers.
A cet égard l’apparition du « wokisme » c’est à dire la prise de conscience des problèmes de justice sociale, né en Amérique et se développant en énonçant d’autres discriminations, participe à cet effacement de la règle de droit.
Bien sûr il convient d’espérer, raisonnablement, que les ordonnances des CPH de Colmar et d’Alençon, en appel, seront réformées.
Mais ces décisions montrent l’opposition désormais régulière entre la règle de droit prise pour le bien de la collectivité avec la demande de bénéfice de la reconnaissance des droits et libertés individuels.
La mosaïque des droits et libertés individuels ne doit pas briser l’unité et la notion du « vivre en commun »
C’est un sujet important pour les futurs parlementaires à la veille d’une nouvelle législature ».
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