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Posture des entreprises face au fait religieux : ITV de JC Volia par Institut Montaigne

3 questions à Jean-Christophe Volia, Docteur en sciences de gestion et du management, et spécialiste en gestion du fait religieux dans les grandes entreprises.

*Quels sont les résultats du baromètre du fait religieux en entreprise qui vous ont le plus marqué ? 2 résultats sont marquants dans le baromètre 2021 : le manque d’impact du télétravail sur les tensions et un outillage de plus en plus conséquent des entreprises.

La généralisation du télétravail laissait entrevoir une forte baisse des tensions liées à la religion au travail, du fait d’un fort amoindrissement de la visibilité – à distance – de faits vécus comme gênants au sein des équipes (port visible de signe), ou par une dilution de l’aspect chronophage de certains faits (prière) dans la latitude laissée aux individus pour organiser leur temps de travail.  Cependant, les tensions ne semblent diminuer que très relativement (moins de 20 %) : elles subsistent, gérées en premier lieu par le management de proximité.

Le baromètre révèle le nombre croissant d’entreprises à outiller leur gestion du fait religieux. Depuis 2019, le management de proximité est très demandeur d’une ligne directrice afin de l’aider dans la gestion de situations liées à l’expression religieuse au travail.

= 85,7 % des managers sont en attente d’une prise de position juste et claire de l’entreprise.

= en 2 ans, 8 % d’entreprises supplémentaires ont outillé leurs managers en conséquence : chartes/guides,  formations, discussions au sein de l’équipe managériale, consignes particulières pour répondre aux demandes d’absence ou d’aménagement du temps de travail ou encore dispositions dans le règlement intérieur.

Les chartes/guides, consignes particulières et formations se positionnent comme les outils les plus facilement « mobilisables » ; la progression des dispositions dans le règlement intérieur est inférieure à celle des autres outils mais demeure parmi les 3 principaux moyens utilisés en situation de forte densité.

*En tant que Docteur en sciences de gestion et du management, et spécialiste en gestion du fait religieux dans les grandes entreprises, comment ces données résonnent-elles avec vos travaux ?  2 points de résonnance sont à relever :

la situation de gestion du fait religieux s’avère des plus perturbantes pour un manager de proximité car il se trouve pris dans un étau. Ayant peur d’être vu comme incompétent par la hiérarchie, le manager préfère souvent gérer seul sans faire  remonter la situation complexe rencontrée; il y aussi la réaction de l’équipe et celle de l’individu demandeur qui sont redoutées. Par exemple, un port de signe visible légal mais gênant visuellement pour l’équipe et pouvant engendrer une réaction négative de sa part suscitera un refus du manager. L’inverse est aussi vrai : pour préserver les buts économiques et sociaux de l’entreprise, il est possible qu’un manager décide d’accepter une demande religieuse pourtant en désaccord avec les règlements intérieurs, voire la Loi.

-En ce sens, la posture de l’entreprise joue un rôle majeur. Jusqu’aux 2020, la tendance était  au déni de l’existence de situations problématiques liées à la question religieuse ; la dernière décennie a vu les organisations adopter une posture différente, se traduisant par un dispositif de gestion impliquant la direction RH, ou diversité, ou  juridique. Les postures extrêmes sont devenues plus rares : acceptation ou refus caractérisé. Le plus fréquemment, les entreprises françaises adoptent des positions proches de l’accommodement/aménagement avec une gestion des demandes religieuses au cas par cas, au regard de leur légalité, de leur impact sur l’équipe et l’entreprise : performance, image dégradée suite à  discrimination. 

*Au regard de votre expérience sur le terrain, pouvez-vous développer un exemple de situation concrète de fait religieux ? Le cas de la posture d’accommodement/aménagement est particulièrement intéressant ; la position de compromis est souvent apparue comme simultanément source de simplification et de complexité sur le plan empirique. 

Si un manager trouve des réponses éclairantes  à la lecture des éléments composant le dispositif de gestion de l’entreprise, il peut aussi y percevoir une inertie des documents écrits, aux principes parfois impossibles à mettre en œuvre face à une situation complexe, ainsi qu’un problème d’articulation entre les différents outils à sa disposition.

Si les formations interactives en présentiel peuvent œuvrer à l’unification et au caractère opérationnel du discours de l’entreprise, il est nécessaire que celle-ci adopte et affiche une posture claire, justifiable, inclusive, équitable, et cohérente en elle-même (non-discriminante), mais aussi vis-à-vis des autres documents composant le discours RSE de l’entreprise. Le respect de ce principe a régulièrement conduit des entreprises à rejeter l’inscription d’une clause de neutralité permise par la loi travail dans leur règlement intérieur : refuser cette clause maintient une cohérence dans le discours des entreprises ouvertes à la diversité. Cependant, une posture doit également être applicable uniformément sur un même territoire national et suivie d’actes concrets.

Choisir et afficher une posture s’apparente, en interne comme en externe, à une prise de position de l’entreprise, dans certains débats de société clivants. 

Par exemple, si une entreprise considère le port du voile comme un critère de diversité à protéger, et non comme un symbole portant atteinte à l’égalité femmes-hommes, et qu’elle l’exprime dans ses documents internes, à terme cela lui posera la question de la possible visibilité des personnes voilées sur les affiches publicitaires, et dans toutes les strates de l’entreprise. Si elle agit concrètement et de façon tangible en ce sens, elle prendra part à un débat clivant, potentiellement négatif pour son image, mais attractif pour les salariés et prospects favorables ou non-défavorables au port du voile. Si elle se contente d’un discours non suivi de faits, on pourra lui reprocher d’être en contradiction. 

L’important est la cohérence de sa position générale : il serait alors plus aisé pour les managers de s’appuyer dessus et de la défendre, face à des situations complexes. Au-delà, il paraît essentiel que la posture de l’entreprise intègre les règlements intérieurs, ce afin de formaliser une frontière légale indiscutable, entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, tant dans l’expression religieuse des salariés que dans l’action des managers.

 Pour en savoir plus : https://www.institutmontaigne.org/blog/croire-au-dialogue-la-posture-des-entreprises-face-au-fait-religieux-une-question-de-coherence

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